— Bruegel l’Ancien (1525/30-1569)
[…] j’entendais en moi retentir de sombres chœurs, comme lorsque, enfant, une ritournelle de voix ensorcelait mon esprit sans que je parvinsse à m’en défaire […], les rondes endiablées de Bruegel continuaient de tourner dans l’ingérable désordre de mon âme, le plaisir se mêlait au labeur, l’insatiable appétit avait dessiné des panses énormes sur le point d’éclater, il n’y avait dans ces tableaux (si proches de mon univers mental, héritage du nord), que j’avais vus à Bruxelles, puis dans d’autres musées européens, pas un espace où cela ne vive, un coin où cela ne crève, pas une table où cela ne se goinfre, un lit où cela ne jeûne, et Bruegel était mort à quarante ans, mais ce qu’il avait peint de ce monde était d’un âge bien plus ancien, un âge qui m’habitait aussi comme une malédiction […]
(extrait des Couleurs de la nuit, La Différence, 2010)