Gris crépuscule
Je venais d’arriver à Prague où le vin était aigre, et dans ce que j’estimais être ma pitoyable vie je m’étais résolu à boire de la bière de Plzeň – une bière à basse fermentation qui me rappelait le goût et la couleur de la bière belge. A une centaine de mètres de l’appartement que j’avais trouvé à quatre arrêts de métro du centre ville – que j’avais malencontreusement trouvé –, j’avais repéré une station service ouverte 24 heures sur 24. Elle se tenait repliée sous un tronçon de viaduc autoroutier. J’éprouvai aussitôt pour elle une vive sympathie – cette sale manie d’être sensible à la misère des autres… Rien ne me prédisposait pourtant à fréquenter sur place les pompes à essence : j’avais vendu ma voiture à Bruxelles avant de partir – on m’avait signalé qu’à Prague les véhicules à plaques étrangères étaient volés en moins de deux jours. La nuit, lorsque mes pas me conduisaient à la source, je voyais au loin triompher de l’obscurité et résister au poids de la circulation qui lui passait au-dessus de la tête la station service urbaine, je pensais alors aux tableaux de Daddi, petits rectangles dorés luttant contre des forces obscures. La lumière des néons m’apaisait soudain, le frigo ronronnait comme un chat se frottant aux chevilles, j’y trouvais, rayonnantes, les bouteilles de Pilsner Urquell, et je repartais dans le noir avec deux litres de bière blonde sous la main – j’étais content.