C’est une maison près d’un lac, en Belgique. Un ami de mes parents fait de la plongée. Et quelqu’un dit qu’il est mort, – je ne sais plus, tout se confond, pourtant c’est là que j’en entends parler pour la première fois, pour la première fois cela prend forme, cela prend vie, près d’un lac, il y a l’eau, et il y a la mort. Avant, je ne peux pas, je ne peux pas remonter plus loin, il y avait pourtant l’oncle mort, oui, l’oncle mort parce qu’il avait son cœur à droite, une malformation, il était entré dans la marine, des quatre coins du monde on recevait de lui des cartes, de Java, Rio, San Francisco, comme s’il savait déjà qu’il devait vite faire le tour de la terre, comme si son cœur le pressait de le faire. Mais de lui, non, je ne peux pas me souvenir, ni de lui vivant, ni de lui mort, juste des photos vues plus tard et les cartes de Java, Rio, San Francisco.
Après, elle était là, elle ne m’a plus quitté. Elle était là pour me bercer chaque soir avant le sommeil, elle était là, noire, effrayante, et moi seul dans cette obscurité, et moi seul qui ne croyais à rien, sinon à elle, alors je priais, que faire, je priais Dieu, je l’appelais comme ça, Dieu, je lui disais Aide-moi à passer la nuit, puis je fermais les yeux et je glissais dans le néant, presque confiant, et le lendemain j’ouvrais les yeux, et je voyais que j’avais gagné contre la nuit, que j’étais à nouveau vivant. Parfois dans la journée je m’allongeais, je déposais mon corps sur le lit, et je tentais de comprendre ce mystère auquel on m’avait livré. Dehors, il n’y avait personne, personne pour la craindre, personne pour en parler, moi seul j’étais hanté. Alors je m’allongeais, sur le lit je déposais mon corps, et je tentais de l’apprivoiser. Sans doute eux ils savaient, quelque chose dont j’étais exclu, sans doute eux ils connaissaient la destination, et moi j’étais perdu.
Puis, dans l’adolescence, tous ces morts m’ont massacré, ont massacré ce que j’aurais pu être. La mort a tué ma vie, je n’ai plus rien compris. Je n’ai plus rien pu comprendre. Pour me sauver je me dis, je me force à croire que mourir n’est rien, l’idée me plaît et je n’y crois pas vraiment, parfois c’est immense, le vertige en y pensant, c’est immense et terrible, je sens que ça arrive, lentement, mais ça arrive, et c’est comme un gouffre dans mon ventre, c’est comme un trou noir dans lequel je flotterais, et c’est Bosch, le plus ignoble de Bosch, c’est Bosch pour de vrai, quand j’y pense, tout a disparu, les couleurs, les sourires, la vie.